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Issynetoo

L’éphémère

bouquinsPapier vole - papier volé - papier triste

Elle marche son sac en bandoulière. Elle est gaie parce que le soleil inonde la rue et qu’elle se sent bien sitôt qu’il y a du soleil et aujourd’hui il est au rendez-vous.

On la suit. Le métro, le portillon, la bousculade - papiers volés.

Opposition, que de problèmes ! Lettres sur papier blanc.

Combien sont-ils à vouloir une lettre comme celle-ci ? Une dizaine  ? Que veulent-ils ?

Se faire payer.

Se faire payer les achats réglés avec ce papier sur lequel on a griffonné. Signature ? Pas la sienne.

Et les papiers officiels, à refaire, que de problèmes ! Identité, pas née ici, née d'ailleurs.

Le soleil brille toujours.

Incompréhensibles papiers.

*

Elle est chez elle, toute tourmentée.

*

Elle rêve.

La forêt, la tempête dans la forêt.

Cet arbre qui résiste au vent qui lui souffle à la figure. Résistera-t-il encore longtemps à cette attaque ?

Il plie ; elle a peur. Il va tomber, il n'a plus de force.

Cinquante ans qu'il est là, qu'il déploie ses branches fièrement. Mais là ! on dirait un corps martelé, affaibli, avec des bras qui se tordent et qui se tendent, qui s'affolent, qui semblent demander secours.

Calamité. Il est tombé. Il agonise. Il est mort.

 Eux, ils arrivent. ils sont là tout autour de lui et ils le regardent.  Ils regardent l'hécatombe mais ils ne sont pas tristes, ou presque pas puisqu'ils en feront du papier.

Du papier blanc ou bistre et du jaune, du bleu, du vert, de toutes les couleurs de l'arc-en-ciel.

Ils en feront des habits, des chapeaux pour les jours de fêtes. Ils envelopperont les bonbons avec des feuilles de toutes les couleurs. Ils les donneront aux gamins mais ils ne les donneront aux gamins que s’ils sont sages, que s’ils travaillent bien à l'école et que s'ils ne fabriquent pas des cocottes au lieu d'écouter le maître d'école.Ils écriront aussi sur ces feuilles. Ils en feront des romans, des contes, des légendes, avec beaucoup de personnages réels ou imaginaires, de ce temps ou d'un temps plus lointain.

*

Elle se réveille, regarde le papier rayé bleu et blanc de sa chambre. Elle pense qu'il faudrait le changer parce qu'il est vieux mais elle est fauchée. Elle n'a pas les moyens. Elle se dit qu'un jour peut-être, elle rencontrera l'homme qui changera son destin.

Elle émerge lentement, s'habille, ramasse nerveusement la dizaine de lettres qu'elle doit envoyer sans faute aujourd'hui et qu'elle a écrit à tous ces gens qu'elle ne connaît même pas, à qui elle doit prouver son innocence. Il faut qu'elle leur dise que ce n'est pas elle qui a acheté ces bijoux, d'ailleurs elle n’a pas de bijoux. Elle se regarde dans la glace, rajuste une mèche rebelle et sort dans la rue.

Elle entre chez le libraire et se dirige vers le rayon des livres. Sur les étagères il y en a des centaines, bien alignés, en rang d’oignons, numérotés, classés par nom d’auteur et par ordre alphabétique. A, B, Balzac, Baudelaire, C, Colette… Ici, elle est comme chez elle. Le libraire la connaît bien. Elle vient souvent le voir et reste des heures dans sa boutique.

C'est un endroit pas très éclairé, un peu vieillot et qui, comparé aux boutiques environnantes, tout étincelantes avec de grandes baies vitrées, contraste franchement et semble un peu lugubre.  Elle feuillette à sa guise autant de livres qu’elle veut. Parfois-même elle s’assoit au bord de la gondole et reste là, pensive.

*

Au devant d’elle il passe, son journal à la main ; papier gris, encre noire.

Il est rentré chez le libraire parce qu’il l'a vu. Il a tout de suite été subjugué par son allure fragile. Pour attirer son attention, il fait tomber son journal à ses pieds.  Ils se regardent. Il lui sourit.

*

 Henri est dans ses pensées.

Depuis combien de temps a t-elle surgit dans sa vie ? Huit jours, un mois, dix ans ? Il lui semble l’avoir toujours connue. Elle est si gaie, si naturelle. Depuis qu'elle est là sa vie a changé ?

-  Tu es prête

-  Hé ! Tu m’agaces, tu me préviens toujours au dernier moment ! Après je dois me préparée en cinq minutes !

 

Elle est en train de mettre du rouge à lèvre. Elle porte une robe qui longe son corps élancé. Elle a aux pieds des chaussures à fines lanières et talons hauts, si hauts et si fins qu’ils allongent encore un peu plus sa ravissante silhouette. Ses cheveux balayent voluptueusement le bas de son dos nu.

 

Elle est parfaite pensa-t-il.

 

Henri est plus âgé qu’elle. Il a atteint l’âge de cinquante ans mais il n’en parait que quarante.

Lorsqu’elle l'a rencontré, qu’il lui a raconté sa monotonie, son ennuie, tout ça en la regardant avec tellement d’amour, elle n'a pas résisté.

Elle a pensé qu'après tout il n'était pas si mal et qu'elle aussi, de toute façon, elle se sentait seule. Ensemble ils arriveraient bien à tirer quelque chose de la vie. Il lui a raconté qu’il travaille pour le "Bruit des Savates" et doit, une fois par mois, écrire un « papier » qui parait à la rubrique « Mondanité ».

Par obligation pour son travail, il doit se rendre dans des soirées mondaines, et c’est sûr, ça ne l’enchante pas ! Il est souvent hanté par la peur de la page blanche. Justement ce soir il n'est pas très inspiré c’est pourquoi ce soir ils ont décidé de sortir.

*

Lorsqu’ils poussent

la porte en bois de l’entrée de l’immeuble,  le ciel est devenu d’un blanc poudreux qui tend vers le gris. Il n’est pas encore tout à fait noir malgré l’heure tardive. On est en été.

*

C’est en passant devant la librairie qu’ils aperçoivent au fond de la boutique une petite lumière qui semble se rapprocher au fur et à mesure qu’ils avancent.

 

Amandine, accrochée au bras d’Henri, sursaute. Son visage a changé. Henri se rend compte qu'elle n’est pas très rassurée, qu'elle semble inquiète.

Comme elle se sert encore un peu plus contre lui et cache maintenant sa tête dans son épaule, Henri lui soulève doucement le menton, la regarde et lui dit :

-          Qu’as tu ma chérie ? Pourquoi as-tu peur comme ça ? Ce n’est qu’une lumière !

 

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Amandine ne répond pas mais elle marche plus vite. Elle semble vouloir s’éloigner le plus rapidement possible de la boutique. A présent elle est songeuse et semble triste. Ils continuent leur marche silencieusement, main dans la main, chacun dans ses pensées. Il faudra à Henri beaucoup de temps pour lui rendre le sourire.

 

La soirée se passe bien. Les gens sont sympathiques. Elle est très à l’aise parce qu’ils parlent poésie, romans et Amandine connaît bien les livres et tous les personnages de la littérature.

 

Pourtant, par moment, elle ne peut s’empêcher de penser. Cela fait déjà presque un an qu’elle est là et il va falloir qu’elle reparte. Cette lumière chez le libraire, c’était lui, elle en est sure. Il était là pour le lui rappeler. Elle va devoir retourner dans son pays mais elle, elle ne le veut pas. Elle voudrait rester avec Henri. Elle s’est habituée à la vie. Elle ne veut pas quitter ce monde, retourner dans ce pays imaginaire, peuplé de tous ces personnages qui ne s’animent que lorsque les lecteurs ouvrent les livres.

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